mardi 28 septembre 2010

Au coeur de l'Industrie

Puisque à l'occasion de la réforme des retraites on parle de celle des femmes et des écarts de salaires et donc de pension avec leurs collègues masculins (sans parler de la précarisation y compris de celles qui n'ont pas charge de famille, et des mi-temps non choisis assumés par les femmes), voici une anecdote qui m'est arrivée il y a quelque temps, anecdote montrant que les femmes ne méritent qu'un statut inférieur. Sursélection selon des critères virils, le double voire le triple d'entretiens de recrutement par rapport aux hommes* pour les candidates femmes, obligation de donner des gages au pouvoir masculin si nous voulons le poste, contrairement à une idée répandue les discriminations que subissent les femmes dans le monde du travail sont rarement frontales et brutales. Il est très mal porté de dire "pas de femmes chez nous" ou de reconnaître que les salaires des femmes sont diminués de 20 % parce qu'elles sont des femmes. En revanche, les petits arrangements, les coups tordus, les pratiques injustes, non éthiques et non professionnelles font les mêmes dégâts.

Contexte
Grande entreprise internationale de l'électronique, implantée sur les 5 continents : l'établissement où je travaille est dans une ville régionale.
Service fabrication
: 3 500 salariés, en majorité des femmes, l'électronique nécessitant une excellente acuité visuelle et une bonne dextérité manuelle, et les femmes ont ces qualités. Service Recherche & Développement (R&D) : 1000 salariés, 95 % d'hommes, les quelques ingénieures qui y travaillent sont pratiquement indiscernables, elles évitent le maquillage, les bijoux voyants, elles sont généralement chaussées de Pataugas ou de Campers et elles portent jeans et bombers, coiffure courte petite tête pour se fondre dans la masse. Quand on traverse le service et qu'on y voit une femme un peu maquillée et habillée, c'est à coup sûr une assistante.
Je suis consultante en ressources humaines (RH) en CDD de 4 mois puis 14 mois, total : 18 mois. Je recrute pour la R&D, les services hardware, hardware radio, software... sous la hiérarchie d'une Directrice des Ressources Humaines (DRH) de la R&D, Marie-Dominique, et plus lointain mais néanmoins là, d'un DRH site. Il y a deux cents descriptions de poste, donc 200 ingénieurs et techniciens à recruter.

Process
Pas de short-list : nous sourçons des CV sur Internet, traitons les candidatures spontanées, et insérons peu d'annonces sur les job boards. Nous lisons les CV, les rapprochons des fiches de postes à pourvoir, les proposons à la lecture aux managers et aux team leaders qui décident de les recevoir ou non. Les rendez-vous (RV) sont pris par une assistante ; trois entretiens sont prévus par candidat-e : un avec la consultante, un avec un manager, un avec un team leader (chef d'équipe), dans la même journée. Les transports sont remboursés aux candidats. L'entreprise pratique ce fléau de la cooptation avec intéressement au cooptant, et il me faut me battre pour que le cooptant n'assiste pas aux débriefings concernant le coopté ! La cooptation est un recrutement sur une appartenance et PAS SUR UNE COMPÉTENCE. On ne dénoncera jamais assez la cooptation mafieuse masculine dont nous faisons régulièrement les frais, parce qu'ils n'arrivent plus à penser, tellement ils sont consanguins !

Un débriefing avec les trois personnes ayant reçu les candidat-e-s suit rapidement, la candidature est examinée en fonction du parcours du candidat, du ressenti de chacun (totalement irrationnel), du poste à pourvoir et de l'équipe accueillante ; la consultante est chargée de conseiller les managers sur le recrutement en fonction du service, de ses besoins actuels et futurs, des gens qui y travaillent, des capacités d'évolution du candidat et de ses souhaits, le tout dans une optique de cohésion du service et d'atteinte des objectifs. Si c'est oui, une propale (proposition de salaire) est soumise au candidat par la consultante et s'il/elle accepte, les choses se font très rapidement.

La grille de salaire relève de la convention collective nationale de la métallurgie, et prend surtout en compte le diplôme, l'ancienneté dans le poste, l'âge et l'expérience professionnelle antérieure. Peu ou pas d'intéressement.

Plan de mes entretiens 
De 45 minutes à une heure, jamais plus :
6 minutes de présentation de l'entreprise pour commencer (j'insiste, la plupart des entretiens de recrutement se déroulant à l'envers), déroulé de carrière du/de la candidate, la fin de l'entretien se fait en anglais pour évaluer si la personne pourra se débrouiller lors par exemple de tests du matériel à l'étranger avec des industriels à qui nous proposons nos produits, enfin calendrier avec dates précises de ce qui va suivre. Le/la candidat/e repart avec ma carte de visite, mon mail et ma ligne directe. Évidemment, il y a un service Intégration, mais je me fixe d'accueillir les candidats le premier jour, de veiller à leur installation dans le service et de faire un service après-vente dans les trois premières semaines de leur intégration.

Le service software recherche activement des
ingénieurs de traitement du signal depuis plusieurs mois sans aboutir. Ces ingénieurs sont des concepteurs d'algorithmes de traitement de signaux voix (téléphone), données, et images (TV numérique et autres applications images sur des téléphones par exemple), transport, compression, décompression du signal à l'arrivée sur des avenues (broadband) numériques, le tout sans distorsion et dans la plus grande fidélité à l'original. Imaginez que vous téléphoniez à votre chèr-e et tendre dont vous êtes habituée à la voix et que le téléphone vous restitue ses réponses avec celle de Donald Duck, ce ne serait pas satisfaisant du tout !

Or, miracle, il se trouve que justement arrive sur mon bureau le CV d'une jeune femme, docteure en traitement du signal, qui en plus (ces managers ne croient JAMAIS qu'un transfert de compétence soit possible, sans doute parce qu'eux-mêmes n'ont jamais rien transféré, bloqués comme ils sont dans leurs postes à vie selon le modèle masculin considéré comme universel du travail posté), qui en plus donc, a travaillé 6 ans chez un concurrent proche. Je leur faxe le CV pour aller plus vite et par retour, tellement la charge de travail et le besoin sont là, ils me répondent qu'ils veulent la voir ASAP (as soon as possible).
Rendez-vous est pris avec la candidate, elle arrive au RV ponctuelle, et elle enchaîne les entretiens comme prévu ; elle fera l'unanimité des trois, moi et mes deux collègues clairement enthousiastes : ils en ont un besoin terrible, on va lui faire une belle propale ; clairement, elle est la femme de la situation, elle n'est pas arrogante, elle ne "pèse" pas "100 KE" (travers courant chez certains hommes qui se surévaluent pour masquer leur incompétence) ; elle est plutôt effacée selon moi et elle parle, y compris couramment l'anglais avec une petite voix ; elle ne se survend pas, je dirai même qu'elle ne se vend pas du tout malgré son expérience R&D qui rassure les autres recruteurs car les thèses de doctorat effraient généralement les entreprises.
(La suite sur ce lien)

* Pour un CDD de 4 mois (en première instance) j'ai personnellement passé 6 entretiens de recrutement avec deux déplacements, soit le double de ce que je faisais passer aux garçons et aux juniors que je recevais moi-même ensuite ; les transports leur étaient remboursés ; à moi on n'a remboursé que le transport de la deuxième salve d'entretiens, en doublon donc, et encore parce que j'ai insisté ! Évidemment, comme c'était à une heure et demi de chez moi, j'ai dû prendre un deuxième logement : rien ne m'a été proposé pour m'aider ; à comparer avec les "primes de rideaux", "de moquette" et autres remboursements de plaque d'immatriculation et de déménagement que les ingénieurs mâles de la R &D percevaient lorsqu'ils déménageaient ! L'immense majorité, voire la totalité des CDD étaient tenus par des femmes, l'immense majorité des CDI l'étaient par des hommes. Autant l'univers de la R&D était un collectif d'hommes, autant les ressources humaines étaient peuplés de femmes car réputées plus "conviviales", plus "humaines" et surtout, analyse personnelle, plus souples du col : la preuve (aveu de la DRH), j'ai été recrutée parce que les chargées de recrutement junior ne tenaient tellement pas tête aux managers que la plupart des services ne recrutaient plus à cause des freins et barrières anti-femmes, anti-seniors, anti-handicapés et anti-techniciens, anti-ethniques... opposés par le management et les chefs de service qui ne recrutaient plus que des juniors sortant des mêmes écoles qu'eux !

3 commentaires:

  1. "Une grande femme" a écrit : Un salaire c'est négociable, les primes et autres aides au transport aussi. Les hommes savent t-il mieux négocier que nous je ne sais pas mais c'est au niveau de la performance qui faut trouver des chiffres de comparaisons.

    Hypathie répond : lien commercial supprimé. Mon blog est gratuit, il n'a pas à promouvoir de sites commerciaux.
    Je suis une négociatrice née, je négocie tout, tout le temps, mes salaires, mes acessoires de salaires, et les avantages en nature. Je négocie pour les gens que j'emploie, hommes et femmes, et je suis plutôt dure en affaires. Aussi, je ne sais pas si les hommes négocient mieux que les femmes, mais moi, je prétends mieux négocier qu'eux. Amicalement.

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  2. Ce que j'ai du mal à comprendre, c'est pourquoi en R&D on devrait se serrer les coudes entre hommes? Pourquoi des hommes devraient-ils écarter des femmes? Est-ce spécifique à l'électronique ou est-ce une vision biaisée?

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  3. @ Anthropopotame : je visite toutes sortes d'entreprises industrielles hors électronique : automobile, aéronautique, chimie/pharmacie/cosmétique, toutes sortes de bureaux d'études, peuplés d'ENSAM, SUPELEC, X Mines, INSA, INPG, SUP Telecom, etc : je ne suis pas anthropologue, je n'explique pas, je constate, les hommes cultivent l'entre-soi et ne supportent pas la concurrence des femmes. Pire même, quand les femmes s'imposent dans un secteur où ils avaient leurs habitudes et leur "entre-soi", ils se carapatent ailleurs ; l'exemple des mâles "hussards noirs de la république" est un des plus célèbres. Pour les autres, la littérature féministe abonde d'exemples.

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