mardi 14 septembre 2010

Agriculture Urbaine : des balcons aux terrains vagues, une tendance lourde

Cela ressemble à un oxymore. Pourtant devant les effets sévères de la récession, des citadins se mettent à faire pousser leurs légumes dans leur jardin, dans leurs arrières cours et même sur des friches urbaines et des terrains vagues.

Le mot ne s'y prête pas : jardin, garden (en anglais), gardenia, le mot vient de gardé, enclos : pas touche à mes épinards, autrement dit !

Un Arte reportage du 11 septembre démontre le contraire. DETROIT, la ville qui a inventé le travail en miettes, la Mecque de l'automobile jusqu'à la faillite de GM (General Motors) et de Chrysler, la capitale de l'automobile triomphante : GM, Ford, Chrysler, 2 millions d'habitants réduits à 700 000, avec 100 km carrés de friches industrielles, urbaines, commerciales, Détroit devenue capitale de la "rust belt", la ceinture rouillée américaine, se lance dans la production agricole sur ses terrains vagues.

Les populations restantes (15 000 habitants quittent la ville chaque année), prolétaires au chômage (30 % de chômage officiel) ou retraités pauvres de l'industrie automobile en faillite, squatters, presque tous issus de la communauté afro-américaine, vivent en autarcie dans un "food desert" (désert alimentaire) : ils n'ont plus que les épiceries de quartiers ou les stations services pour faire leurs courses alimentaires, et on n'y vend aucun produits frais, légumes ou fruits. Ceci dit, il n'y a pas que Détroit qui est touché : dans des villes comme Chicago, Los Angeles, Birmingham, on trouve des déserts alimentaires, où les seuls produits "frais" qu'on trouve sont soit fanés, soit à date de fraîcheur expirée !

Revenons à Détroit : le revenu moyen par habitant y est 10 000 dollars par an ! Certains vivent au milieu de maisons délabrées et inhabitées, d'écoles vides, de terrains vagues, anciens emplacements d'hypermarchés, à tel point que les animaux sauvages (renards, ratons-laveurs, daims...) réinvestissent la ville. Voici un quartier de Détroit la nuit : ça surprend dans le continent le plus éclairé qu'on voit des stations orbitales ! Les deux habitants de la tour à droite doivent se sentir bien seuls.


Des habitants ont commencé par faire pousser des fleurs puis des légumes sur leur bout de pelouse, puis sur le passage que la municipalité n'arrive plus à entretenir derrière la maison, ensuite d'autres, nécessité faisant loi, se sont carrément mis à squatter les terrains vagues dont la municipalité est propriétaire, et en ont fait des jardins potagers. Ils investissent les terrains et y font de la culture en bacs à cause d'une éventuelle pollution des sols ; en effet, selon une habitude historique, les industriels s'implantent, polluent les sols, l'atmosphère et les cours d'eau et... délocalisent en laissant leurs saletés derrière eux sans un regard pour ceux qui restent ! Personne ne les oblige à dépolluer. C'est d'autant plus vrai en cas de faillite.

Les projets consistent à produire en bio intensif (petites surfaces, bacs...) pour subvenir à leurs besoins, des légumes frais, des animaux (poules), des conserves et du miel. Il s'agit bien d'une agriculture de subsistance comme on en trouve dans le tiers-monde. Ils compostent, cultivent selon les saisons, éduquent les enfants des écoles qui reviennent ainsi à la compréhension de la terre et de la nature, et militent pour la cause noire et pour que les gens reprennent le contrôle de leur propre vie. Et cela marche tellement bien, qu'ils fournissent désormais 15 % des légumes de la ville, inclus les restaurants, et qu'ils travaillent à l'instauration d'un label "Cultivé à Détroit" !





Tant et si bien que des capitalistes opportunistes veulent se lancer dans ce type d'investissement en lorgnant sur les 100 km2 inoccupés
de Détroit : produire une agriculture intensive à super rendements, avec des machines, des pesticides et des herbicides, tout en bénéficiant de terres peu chères et surtout d'une main-d'oeuvre à bas coût, quasiment de tiers-monde, en "bénéficiant" du taux de chômage élevé.

Dans le monde, 700 millions de gens vivent de l'agriculture urbaine ou périurbaine -définitions-, selon la FAO : petites parcelles, toits de maisons, microjardins. Cela permet aux pauvres dont la majorité sont des femmes, il faut le répéter, d'accéder à l'autosuffisance alimentaire, voire de se faire 2 ou 3 dollars par jour en revendant leurs surplus. En Europe, elle se fait sur des fermes maraîchères aux alentours de villes, fermes qu'il est très important de maintenir et conserver. En attendant, vous pouvez toujours semer des cosmos, des bleuets ou des coquelicots sur la friche ou le terrain inoccupé, même tout petit, en face ou à côté de chez vous : cela fera revenir les pollinisateurs. Pour les plus hardies, trois plans de tomate, des fraises, ou des haricots à rame égaieront le paysage ! Et si aucun gros engin ne vient tout fiche en l'air un petit matin sans prévenir (c'est le jeu !), vous aurez le plaisir de cueillir vos légumes et de les déguster avec vos voisins !

J'ai remarqué cet été en me promenant chez moi en ville des cueilleurs de cerises (il y a plein de cerisiers partout), un cueilleur de mûres dans un magnifique roncier au bord de la rivière, un cueilleur de noisettes, et avec ma voisine, nous avons ramassé sous un prunier "communal" au bout d'une allée sans pollution automobile, de quoi faire 4 pots et demi de confiture qui ont bien agrémenté mes tartines du petit déjeuner. Je surveille en ce moment le noyer voisin du prunier, dont la récolte de noix paraît prometteuse.


Crédit photo : PhotoBucket pour les photos de Détroit, Vandalia Gardens et Saveurs de saison.

9 commentaires:

  1. C'est fou comme les initiatives intègres sont rapidement récupérées par les requins qui exploitent tout ce que la misère de certain.e.s peut leur apporter. Y aura-t-il une fin un jour à ces comportements minables ?

    RépondreSupprimer
  2. Moi j'ai cueilli des cornouilles dans ma rue. Les gens s'arrêtaient pour demander : "Ca se mange?". Mais il faut dire que je l'ai moi-même découvert il y a quelques années quand j'ai vu des Turcs en cueillir dans le parc du château pas loin de là où j'habitais. Je leur avais posé la même question. Entre temps j'ai repéré tous les arbres fruitiers de la ville dont les fruits ne sont jamais cueillis. C'est tellement du gaspillage. J'ai repéré aussi toutes les actions de guerilla gardening ou presque. C'est très bien. Au lieu de faire venir des pommes d'Argentine ! Mais, en effet, l'horreur ce sont ces sales capitalistes qu'il est difficile de ne pas avoir envie de trucider (cela ne me gêne pas de le dire) ces infâmes "adorateurs de Mammon" comme dirait Gandhi.

    RépondreSupprimer
  3. @ Héloïse : Oui, c'est d'autant plus vrai que ces gens pauvres sont dans la survie, c'est à dire qu'ils passent une grande partie de leur temps à se demander quoi manger !
    @ Euterpe : J'ai l'impression d'en voir en ce moment sur des arbres dans mon quartier ! Un fruit rouge bordeaux léger dont les oiseaux ont l'air de se régaler. Je vais mettre les dents dedans pour voir... Il y a aussi le cynorrhodon, fruit des rosiers sauvages, si on n'a pas peur de se mettre des pépins entre les dents, en plus de pépins, il est bourré de vitamine C ! Tu as raison, les pommes d'Argentine, il faut arrêter d'en consommer...

    RépondreSupprimer
  4. Oui, c'est un fruit ovale avec un assez gros noyau par rapport à sa chair. Il faut manger ceux qui te tombent dans la main. Les fruits qui ne sont pas tout à fait mûrs font un drôle d'effet dans la bouche, comme les prunelles. Si on a de la patience, on en peut faire aussi de la confiture.
    Le cynorrhodon, cela me tente aussi de le cueillir mais ce qui m'arrête c'est qu'il pleut tout le temps en ce moment dans mon coin !

    RépondreSupprimer
  5. Je trouve cette initiative de départ absolument fabuleuse! Et je rêverais de ces jardins potagers un peu partout, pour faire travailler la terre et que les gens consomment ce qu'ils ont produit. Un carré de salades ou de patates ne demande pas beaucoup de place, idem pour des potirons qui poussent très facilement partout. Je préfèrerais voir au pied des HLM, au coeur des ZUP, des légumes en saison et des fleurs, plutôt qu'une herbe mitée que personne ne foule tellement elle est moche. Et je pense que le travail de la terre, même petite, serait fédérateur et rassembleur.

    RépondreSupprimer
  6. Ma soeur à Bagnolet s'occupe d'un jardin avec quelques voisins qui se sont fédérés...
    C'est sympa visiblement, et ça rend la ville plus humaine...
    Quant à moi, je suis à la campagne. C'est un peu mort l'hiver, mais de mars à octobre, c'est vraiment bien. Et ce soir, je mange ma salade, mes courgettes (très facile à cultiver, mais envahissant), je n'ai pas encore les poules pour les oeufs, mais je me demande si je ne vais pas m'y mettre...

    RépondreSupprimer
  7. @ Bric à Brac : rien de tel qu'un jardin pour échanger avec les voisins. ;-))) Pour les poules, si tu les laisses se débrouiller seules la nuit -elles se perchent dans les arbres pour éviter les prédateurs- ça va être sportif pour trouver leurs caches d'oeufs : elles débordent d'imagination pour les planquer !

    RépondreSupprimer
  8. Moi, j'ai UNE poule de ma voisine qui vient toujours fouiner à la maison, une grosse poule rousse d'assez mauvais caractère;) Elle ratisse un peu partout (c'est pas mauvais pour les plate-bandes) et terrorise un de mes chats quand il s'approche d'elle lol. Le soir, elle retourne dormir chez ma voisine!

    RépondreSupprimer
  9. @ Angèle : une poule opportuniste impérialiste, en somme ! Qui s'est arrogé un deuxième domicile et qui vérifie son pouvoir sur les chats. :-)))

    RépondreSupprimer