samedi 23 octobre 2010

Petite expérience d'éthologie en balade

Un matin où il fait beau, je décide d'aller marcher au bord de la rivière, les mains dans les poches, histoire de faire un peu d'exercice. Ca détend, rafraîchit le teint et permet des rencontres agréables ou désagréables, les femmes dans l'espace public n'étant que tolérées, comme il vaut mieux le savoir.

Ce matin, c'est jour faste : au détour de la berge, j'aperçois un magnifique chat tigré venant dans ma direction. Je ralentis le pas, et comme il s'arrête, je m'arrête aussi. Il a l'air peu farouche et prospère. Il s'asseoit sur son derrière pour m'examiner et décider si on peut être copain copine ou... pas. Il plisse les paupières en me regardant, comme font les chats, sans doute pour se préserver des regards dans les yeux, habitude humaine qui doit les déranger mais qu'ils adoptent en plissant ainsi les leurs ! Les animaux ne (se) regardent pas dans les yeux, c'est un signe d'agressivité.

Finalement, il décide que je suis fréquentable, approche et se laisse caresser. Au bout de quelques instants, il se roule même par terre et sur mes chaussures, se laisse caresser le ventre dans un total abandon. Il est du quartier, c'est indubitable, il a un foyer, il est bien nourri, il porte collier et médaille où à coup sûr, on trouve au besoin son adresse, son téléphone portable et bien sûr son adresse mail, tous accessoires de chats citadins bien dans leur époque !

Cinq minutes d'amitié humano-féline passent quand tout d'un coup, son attitude change du tout au tout ; il faut dire que nous nous faisons face et que chacun voit derrière l'autre. Il se remet brutalement sur ses pattes, se fige, son regard devient vitreux, toute son attitude proclame la défiance. Comme il regarde derrière moi, je me retourne et voit arriver à quelques mètres un chien molosse genre american staffordshire blanc et noir (12 fois la taille du chat minimum) tenu mollement en laisse par une dame. Je me mets sur le côté du chat toujours immobile pour bien observer la scène et laisser le passage ; le chat transformé en pierre n'a pas bougé d'un pouce ; l'atmosphère devient épaisse, d'ailleurs on pourrait la découper en morceaux ; à l'évidence toute son urbanité l'a quitté et les protagonistes témoins de la scène -deux humains et un chien- comprennent instantanément et en langage absolument universel que si jamais il devait y avoir de la castagne, c'est OK, il est de la partie, mais que ça pourrait vraiment saigner au-delà de l'imaginable, si quelqu'un faisait ne serait-ce qu'un faux mouvement !

D'ailleurs, la dame et son chien commencent à mollir du genou : ils regardent le chat avec stupéfaction puis crainte (molosse compris) et amorcent lentement mais sûrement un détour aussi grand que l'étroitesse de la berge le permet ; plus à l'écart, ils barboteraient dans l'eau ! En contournant, le chien bien à l'abri de sa maîtresse, la dame me demande d'un ton réprobateur et indigné "Mais c'est quoi ça ? Il est à vous ce
chat "? ; (c'est inouï, c'est moi qui vais prendre en plus !) ; à quoi, je réponds que non, moi je suis juste une casque bleue, observatrice des Nations Unies et que ma fonction en l'occurrence, c'est peacekeeper ! Je suis pour le dialogue entre les nations espèces.

Ce n'est qu'après qu'ils aient tous deux disparu derrière une courbe du chemin de halage que le chat va se détendre et redevenir "normal", c'est à dire un bon chat amical, un gros chamallow moëlleux ! Voilà, c'est tout. Finalement, il a bien raison ce chat : les emmerdeurs éventuellement gros prédateurs courent les villes, il n'y a aucune raison de se laisser marcher sur les pattes qu'on a délicates par ailleurs, et il est prudent de montrer qu'on est HOSTILE de PRIME ABORD (en tous cas pas amicale, pas aimable comme les parents nous ont dit d'être, souriante, gentille avec le monsieur qui ne nous voudrait que du bien, bonne fille et tout ça) et que si par malheur ça devait tourner au vinaigre, la victoire n'est pas promise au prédateur, qu'on a du répondant. C'est dissuasif ; les éventuels prédateurs se découragent vite si la victoire n'est pas assurée à 99 % et que la victime ne joue pas son rôle de victime. La dissuasion peut vous tirer de très mauvais pas.

Felis silvestris silvestris (Chat sauvage des forêts européennes)
Crédit photo : MarcheLibre

10 commentaires:

  1. j'aime bien ce billet... ça montre que dans beaucoup de cas les nanas se font emm... dans la rue parce qu'elles sont considérées comme vulnérables.

    une amie m'a donné un truc: ralentir quand je passe devant un groupe de mecs dont je pense qu'ils vont m'accoster, devenir quasi nonchalante.
    apparemment, presser le pas ou serrer son sac sont autant de signes qui vont inciter à l'"agression" au moins verbale.
    montrer qu'on se sent sûre de nous, c'est dissuader l'importun qui perd son ascendant.

    ça ne marche pas évidemment dans toutes les situations, mais je dois reconnaître que je me fais bien moins interpeller dans la rue.

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  2. Aaaah! Contente de lire cela.
    Avec notre culture dégénérée toute attitude sur la défensive est honnie et on se fait vite culpabiliser d'avoir commis le grave péché de montrer son potentiel agressif. Agressif ? Han ! Quelle horreur ! Et bien sûr, cela ne s'adresse qu'aux femmes.
    Une attitude hostile chez un homme ? Ben c'est un homme. Chez une femme ? Ben c'est une harpie.
    J'ai envoyé bouler un bonhomme aujourd'hui qui, comme cela arrive souvent ici, se croit obligé de me faire la morale parce que, exceptionnellement je roule (sur 100 m au pas à côté d'une copine) à vélo sur un trottoir où quatre personnes tiennent de front, je ne vois pas en quoi cela le dérange. Ma réponse (toujours la même car elle correspond à une réalité) : si j'étais un malabar d'1,80 m vous vous écraseriez monsieur. Mais je suis une femme de petit gabarit alors vous vous sentez fort. Bref, je montre les dents. Néanmoins je n'ai pas encore obtenu qu'ils fassent un grand détour ! A travailler.

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  3. @ Gabrielle et Euterpe : effectivement marcher avec assurance, les bras le long du corps et le sac en bandoulière (ou pas de sac du tout !) sans attitude fermée et craintive, au milieu de trottoir et pas en rasant le mur, et quand quelqu'un s'avance (pour demander un renseignement par exemple), imposer la distance sociale au besoin en tendant le bras si l'autre s'approche trop près, soit 1 m 20 minimum. Quand je marche seule tard la nuit en ville, je préfère les chaussures plates qui tiennent aux pieds aux escarpins à talons que je garde pour la voiture, avec quand même toujours des chaussures de marche de secours. On ne sait jamais.

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  4. Eh oui les filles, dans la rue, on se sent souvent comme le chat que tu as croisé Hypathie, prêtes à griffer, à montrer les crocs ou que sais-je encore... c'est un peu dingue quand on y pense car cela rend notre fameuse liberté nouvellement acquise très relative. Quand je dis ça aux gens,on me prend pour une folle, mais de temps en temps, je rêve de transformer mon propre mari en gonzesse ( Abracadabra!) pour qu'il comprenne que je n'exagère pas... enfin, que je n'exagérais pas car avec le temps, il faut bien l'avouer, le pouvoir d'attraction s'éloigne à mesure qu'on avance... en âge bien sûr...
    Devenir vieille est un privilège finalement. je vais finir par me balader en toute sécurité.
    Ah non, purée, j'oublie que certains tirent le sac des vieilles...
    Jamais tranquilles quoi!

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  5. @ Bric à brac : j'ai surtout voulu montrer que l'assertivité et le répondant (nous ne sommes pas des chats même si l'observation de leur comportement est instructive !) sont déterminants. Je ne crois pas un seul instant que ton pouvoir d'attraction s'éloigne ;-))) mais effectivement, vieilles ou jeunes, les femmes ne sont pas vraiment légitimes dans l'espace public.

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  6. "Les femmes ne restent que tolérées dans l'espace public", c'est certain. Et supposées à disposition. Le cs échéant d'une manière ou d'une autre on a vite fait de le leur rappeler, des fois, qu'elles l'oublient.

    Montrer qu'on n'a pas peur est la meilleure des attitudes, même quand on aurait des motifs justifiés d'en avoir, c'est toujours préférable en en général ça désamorce. ça peut ne pas fonctionner à tous les coups, c'est vrai.

    On vous fout davantage la paix quand on vieillit, et c'est appréciable. Ce n'est toutes fois pas exclusivement dû à l'amoindrissement attractif relatif à l'âge (selon l'état de conservation si je puis dire, s'il fait sombre où si vous êtes éloignée ou de dos, ça peut vous reporter désagréablement quelques décennies en arrière), mais parce que dans nombreux cas ils vous craignent. Peur du sarcasme et peur du ridicule. Peur de la sorcière de leur enfance.

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  7. Je ne savais pas que chez les animaux le regard droit dans les yeux était signe d'agressivité. Moi qui m'acharne à soutenir le regard de mon chat ! Mais, maintenant que tu le dis, c'est vrai qu'il plisse les yeux lors de nos échanges visuels, je vais donc en faire autant.

    Merci pour cette info cruciale qui va radicalement changer nos rapports !

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  8. @ Héloïse : tu peux le faire avec ton chat, mais surtout évite de le faire avec un chien que tu ne connais pas : il peut vraiment s'énerver. Pour les animaux sauvages, il n'y a pas de risque, tu ne peux jamais rencontrer leur regard. On trouve cette interdiction également chez les humains quand un adulte prie instamment, lors d'une réprimande, un enfant ou un ado de baisser les yeux quand on lui parle, parce que dans ce cas, c'est pris comme un affront de fixer l'adulte.

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  9. @ Floréal : même remarque qu'à BaBB : je ne crois pas à la perte d'attractivité des femmes !

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  10. Ah! ok, pas avec les chiens !

    Effectivement chez les humain.e.s, baisser les yeux ou détourner le regard est un signe de soumission (ça me fait penser aux explications d'Euterpe à propos des portraits féminins) mais se regarder dans les yeux est plutôt un signe d'affection. Voilà pourquoi je pensais qu'avec mon chat c'était pareil ... ça fait rien, nous nous aimons autrement, avec ses codes à lui, désormais ;)

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