samedi 8 août 2015

Le lion et le dentiste


C'est une fable et comme dans toutes les fables, il y a une morale.
Un oligarque*, dentiste de profession, ayant fait fortune aux États-Unis en soignant les dents de riches américains, tombe du piédestal où il se croyait bien installé à cause d'un lion zimbabwéen. Cecil, lion, 11 ans, coulait des jours paisibles  au sein de sa famille dans la réserve nationale de Hwange au Zimbabwe ; Cecil Le Lion (nous sommes l'espèce qui donne des noms, rappelez-vous), porte une magnifique crinière noire et il est l'icône du Parc National. Fin juillet, grâce à la puce électronique qu'on lui a implantée, Cecil est identifié, hors de son parc, cadavre décapité par des braconniers : il a été attiré par une charogne, puis traqué pendant 40 heures avec un arc et des flèches, pour éviter d'attirer l'attention avec des coups de feu. Le Zimbabwe recherche d'abord un riche espagnol amateur de "chasse sportive", puis l'enquête révèle que c'est un dentiste du Minesota, Walter Palmer, le responsable, avec l'aide de deux rangers zimbabwéens qu'il a corrompus avec son argent. L'homme est un habitué des "chasses sportives" en Afrique, c'est un récidiviste. Il achète 50 000 dollars pièce les animaux qu'il traque. Ils ne prend bien entendu aucun risque, et le propos n'est pas de chasser pour se nourrir ou se vêtir, les anciens buts de chasse, il le fait pour son bon plaisir. D'ailleurs, on appelle ça "sport hunting" en anglais et "chasse sportive" en français. Tuer est un sport, en d'autres termes. Ils font ça généralement dans les pays en développement, ce qui dénote en plus, un racisme post-colonial bon teint.

Dans un précédent billet (Phallocentrisme du désastre -à partir du second paragraphe) j'ai évoqué la thèse de Carolyn Merchant dans Death of Nature, que la nature, comme les femmes, sont considérées comme "récréative", "re-créatives" par les hommes : des lieux où ils viennent se délasser, se ressourcer, se divertir. La chasse au lion, dans des parcs, ou en boîte (pour savoir ce qu'est la déshonorante chasse en boîte -canned hunting- voir ICI) fait partie de leurs délassements. On peut supposer qu'après le massacre récréatif d'un lion, d'un éléphant ou d'un ours, ils vont tirer d'autres coups dans les bordels des mêmes pays. Joyeuse complicité masculine consommatrice de ressources et fortement émettrices de gaz à effets de serre.

Sauf, que ce prédateur milliardaire, à force de vivre dans sa bulle de privilégié, a un peu ou même carrément ignoré que les opinions publiques ne supportent plus ces exactions d'un autre âge. De traqueur de bêtes fauves, il devient le gibier traqué par les réseaux sociaux. Son adresse, son téléphone, son mail sont dévoilés sur Internet. Sa maison est taguée, assiégée. Il doit se cacher pour échapper à la vindicte publique. Notez que je ne suis pour aucune chasse ni aucune mise à mort de qui que ce soit, humain ou animal : je suis anti-chasse. Mais là, j'ai un peu de mal à plaindre le mec en question. Soyons pragmatique : si ça peut faire office d'avertissement sans frais, le prochain hésitera davantage. D'autant que le personnage est un habitué du braconnage : il avait déjà tué un ours américain, protégé lui aussi dans une réserve. Puis une autre des ses victimes dévoile que Palmer, son ex employeur, est un harceleur sexuel qui lui a versé 127 000 $ au titre de dédommagement du préjudice. Le plaisir de la traque, là aussi : faire la proie se rendre après une longue poursuite, il y a indéniablement dans le harcèlement des similarités avec la chasse.

Morgue, arrogance, mépris 
Dégradation des femmes dans la pornographie, la prostitution, le tourisme sexuel et la maternité de substitution, où des êtres humain.es sont transformé.es en vile marchandise aliénable, dégradation des animaux en viande dans l'élevage, ou en gibier chassable : l'emblématique "roi des animaux" tiré en boîte ou traqué sans but hors celui de montrer son pouvoir et son argent, dégradation de la nature et des habitats naturels de la biodiversité en parcs de loisirs et bétonnages divers pour le profit de quelques puissantes entreprises qui accentuent la pression sur une Terre de moins en moins résiliente, la Terre et la Nature comme terrains de jeux : ainsi s'exerce au détriment des autres espèces, des autres humains, la prédation des hommes ayant-droit de privilèges patriarcaux ancestraux. Pour eux, le monde ne change pas. Et no safe place, plus de sanctuaire : Cecil le lion est leurré dans un parc naturel où les animaux sont protégés, les femmes sont tuées dans leur foyer où elles se croient en sécurité, enfin, les littoraux, les zones naturelles préservées sont en permanence déclassables pour des aménagements au service d'une envahissante humanité, au nom de la croissance biblique dans un monde fini, et surtout par des élus à mentalité de chambre de commerce qui ne comprennent pas que nous ne sommes juste qu'une des composantes d'un vaste ensemble d'une complexité extrême, difficilement appréhendable par le cerveau humain, et d'une grande fragilité.

Walter Palmer, bien que détesté par l'opinion publique est libre aux USA. Ses deux aides, rangers zimbabwéens, eux, ont été jugés et condamnés, à juste titre. Mais il est injuste qu'ils soient les seuls à payer pour leur mauvaise action. On peut aller signer une pétition sur le site de la Maison Blanche pour demander que Palmer soit extradé pour être jugé par le Zimbabwe.

A l'issue de cette mobilisation des réseaux sociaux, les compagnies aériennes sont en train de réviser leurs politiques libérales de transport de trophées de chasse, et le Zimbabwe vient de bannir la chasse aux trophées autour de ses réserves.

" La pratique de la virilité est de plus en plus en contradiction avec la vie sur la planète "
Kate Millet - La politique de mâle.

* Oligarque désigne un homme d'affaires enrichi et lié au pouvoir russe après le démantèlement de l'Union Soviétique. Mais la démocratie s'étant dévoyée depuis dans l'oligarchie, où ceux qui ont le pouvoir et ceux qui sont riches sont les mêmes, j'emploie le mot pour tout riche blanc ayant du pouvoir.

2 commentaires:

  1. Chère Hypathie, ce fait divers est navrant, mais il est réjouissant de constater que le ploutocrate (je les nomme ainsi) n'est pas tout à fait indemne même si son pays où les armes sont en vente libre (ou quasiment) le protège. Je suis prête à parier qu'il ne sera pas extradé mais j'espère en effet que son (mauvais) exemple découragera les viandards de toute sorte qui pullulent encore sur cette planète

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    1. J'ai aussi les plus grands doutes sur son extradition, mais il a déjà trouvé sa Némésis via l'opinion publique, c'est ça qui est rassurant. Et les compagnies aériennes sont en train d'interdire le transport de trophées de ces affreuses chasses sur leurs lignes.

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