mardi 29 mars 2016

Mary Anning, Elizabeth Philpot et le Baron Georges Cuvier

En allant dans ma bibliothèque pour trouver quelques livres pour ce week-end pluvieux et froid de Pâques, je suis tombée par hasard sur ce roman publié en 2010, pour la traduction française. Le roman le plus connu de Tracy Chevalier est La jeune fille à la perle, publié en 1999 et adapté au cinéma en 2003. Dans Prodigieuses créatures, Tracy Chevalier nous raconte sous forme d'un roman à deux voix, les vies de deux archéologues effacées de l'HIStoire du XIXème siècle : Mary Anning et Elizabeth Philpot.


Mary Anning (1799-1947) est une fille du peuple qui survit à Lyme Regis, petite ville de la côte Sud du Dorset en Angleterre en récoltant sur les plages des ammonites et des excréments de fossiles, curiosités que les touristes achètent dans sa petite boutique en ville. Elle et sa famille (son père est ébéniste mais il disparaît de tuberculose en 1810) en vivent très mal : il n'y a pas toujours de quoi acheter du charbon, ni des légumes et du pain pour faire la soupe. Au début de sa carrière, elle est analphabète, elle apprendra à lire vers 13 ans en allant au cathéchisme.
Elizabeth Philpot (1780-1857) est une sorte d'héroïne de Jane Austen : fille issue de la bourgeoisie désargentée, elle est obligée de déménager de Londres avec ses sœurs Margaret et Louise, dans le Dorset où elle désespère de se trouver un mari, vu son absence de dot et de fréquentations de salons convenables. Les deux femmes, bien que de conditions sociales et d'âges différents partagent la même passion de la collection de fossiles. Elles deviennent amies et soutien l'une de l'autre. Quand Mary Anning découvre son premier ichtyosaure enfoui dans une roche, on accourt de partout pour le voir. Mais tout le monde est bien embêté : même si la bête ressemble à un crocodile, on voit très vite que ce n'en est pas un (Charles Darwin -1809-1882- n'a encore rien entrepris) ! Et comme l'Eglise n'autorise aucune interprétation autre que celle de la Bible -le monde a été créé en 6 jours il y a 6 000 ans- que sont donc ces bêtes qui ne ressemblent à rien de connu ? Deuxième contrariété : si Dieu a fait disparaître des espèces entières, ne pourrait-il pas nous faire disparaître aussi ? L'hérésie n'est pas loin, on en tremble dans les sacristies. D'ailleurs l'anatomiste français, Georges Cuvier, prudent professeur d'anatomie comparée, que lit Elizabeth Philpot, se garde bien d'aborder le sujet.


La tête de l'ichtyosaure ci-dessus ressemble à ce que Mary Anning trouvait dans les falaises du Dorset. Et il fallait avoir l’œil pour le distinguer dans la masse. Elle mettait son point d'honneur à la retirer avec soin de la falaise, à la nettoyer et la reconstituer à l'identique dans son atelier.

Les femmes, en ce début du XIXème siècle, n'ont pas accès aux cercles savants de sciences naturelles ; quand Cuvier accusera Mary Anning "d'arranger" ses découvertes (il ne pouvait pas admettre qu'une aussi petite tête soit fixée aux bout d'un aussi long cou), c'est Elizabeth Philpot qui ira la défendre devant la Geological Society à Londres où elle se verra interdire l'accès de la salle de conférence. C'est son neveu qui poussera la porte et qu'on écoutera !


Les deux femmes ne trouveront jamais de mari : Mary Anning deviendra une collectionneuse et une commerçante avisée et célèbre ; autodidacte, elle acquerra sur la durée une rigueur scientifique sans faille. Elizabeth Philpot lui recommande dès le début d'apprendre à écrire pour noter méthodiquement les noms, dates et lieux de découverte de ses spécimens. Elizabeth Philpot écrira de temps en temps à Cuvier qui ne lui répondra jamais.

La lecture de ce roman est un délice semé de petites notations proto-féministes des deux héroïnes ; les personnages ont tous réellement existé, les faits rapportés se sont produit, y compris l'anecdote de l'onguent que Margaret met au point pour les mains de sa sœur Elizabeth qui rentre crottée avec des mains crevassées de plébéienne de ses recherches sur les plages, onguent artisanal qui sera fabriqué et vendu régionalement. Le travail de romancière de Tracy Chevalier consiste à reconstituer, dans les interstices des faits, les sentiments et les chagrins des deux femmes, leurs difficultés, leurs rivalités, leur solidarité et leurs brouilles ; elles auraient même croisé sans le savoir Jane Austen qui passait, en vacances, dans le Dorset ! Les deux découvreuses sont oubliées à la fin du XIXème siècle, bien que leur collections à toutes deux rentrent aux Museums d'Histoire naturelle de Londres et Paris. Leurs noms ont été associés à deux espèces de poissons fossiles. Mais les choses changent ces dernières décennies : on reconnaît aux découvertes de Mary Anning une influence sur l'histoire géologique de la Terre ; Google lui consacre même un de ses doodle le 21 mai 2014, pour son 215ème anniversaire.




Mary Anning - Paléonthologue - 1799-1947


Elizabeth Philpot - Paléonthologue - 1780-1857

2 commentaires:

  1. J'avais adoré ce roman, un des meilleurs de Tracy Chevalier à mon avis !

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  2. Une excellente surprise, effectivement. C'est le premier roman que je lis de cette auteure. Merci de ton passage et de ton commentaire ;))

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